Le lierre monte à l'arbre et renverse les saisons.
Il fruite au printemps, il fleurit à l'automne.
Pour épanouir ses ombelles dorées, le lierre grimpe vers le soleil ;
rampant, il reste stérile et trilobé.
La feuille ascendante n'a plus qu'un lobe, pavillon d'oreille au vent.
L'hiver, la feuille inverse l'arbre :
son tronc et ses épaisses branches verdoient
tandis que ses extrémités sont dénudées.
Parfois cette liane, dans son attachement extrême à l'arbre, le phagocyte,
le fagote d'une robe d'un vert d'éternité.
Le lierre sur murs se cramponne au hasard des lézardes.
Les feuilles du lierre forment les écailles du mur,
sa peau toujours verte, sans mue.
Car pour le lierre, pas d'"effeuillage"
- mot français pour strip-tease, dixit Petit Robert -.
Jamais il ne se serait montré nu.
Pourtant, il écaille le mur, s'insinue dans les fissures, lui colle à la peau.
A vouloir les séparer, ils s'affaissent ensemble.
Mais le plus souvent, le lierre fait chanter le mur :
il piaille, murmure ou criaille
quand la gent ailée gave sa marmaille de ses belles baies bleues.
Le lierre rampant au sol remplit des arpents de sous-bois de triangles.
La triangulation est la division d'un terrain en triangles
afin d'établir sa carte.
C'est une opération géodésique, comme l'arpentage.
C'est en arpentant la terre que chaque feuille a été décou-verte :
celle-là dans un carré de terre du trottoir de la rue du Sceptre ;
celles-là le long du vieux canal de Ronquières,
du MAC'S, près de la Louvière ;
celle-là sous les érables du jardin des grand parents à Blanmont.
Chaque feuille est un point géographique de l'hier.