Elle martèle comme le marteau d’une touche de piano qui frappe sa corde pour en tirer un son. Sauf que ses cordes sont tendues par la nature et le son qui en sort fait entendre toute la finesse des formes végétales.
Qu’on parle de toucher lumineux, rond, sec ou brillant, c’est que ces touchers adaptent de manière plus ou moins harmonieuse la vitesse d’enfoncement des touches aux contours musicaux des partitions. Qu’une main soit grasse ou anguleuse ne change pas grand-chose : seule la rapidité avec laquelle une touche est « prise » pour être abaissée importe, à condition que cette rapidité corresponde à la nuance exigée et qu’elle ne rompe pas la continuité dynamique de tel ou tel passage.
Ott Bertrand, Liszt et la pédagogie du piano, Essai sur l’art du clavier selon Liszt, Issy-les-Moulineaux, EAP, 1987, p.195.
Elle nomme sa pratique tataki, d’un mot japonais qui laisse bien entendre le rebond de la frappe et le son qui en sort.
Le son sort ici sous l’aspect d’une teinte. Zomé, souffle-t-on en japonais.
De tinter à teinter, il n’y a en effet qu’un saut. Et l’ouïe se transforme en clin d’œil. L’œil perçoit alors l’arrivée du e sous le t(e)intement du marteau : sous la frappe diffuse rythmiquement une encre végétale. La partition est une pièce de tissu, à la fois surface d’inscription pour la musique qui se teinte et véritable caisse de résonnance pour ces cordes naturelles que le toucher de Sandrine vient mettre en valeur.
Les productions de l’artiste balancent ainsi entre écriture et musique pour flotter au vent comme une feuille, comme une plume.
Ce mouvement de balancier nous amène, au terme d’une déambulation dans le jardin des mots, les forêts du sens ou la plage du cœur, au jazz et au « swing ». C’est qu’elle déambule aussi, de son côté, avant de tintinnabuler, Sandrine, dans les jardins botaniques, les forêts du Grand Nord ou les plages de bord de mer, forgeant des « itinera », cartographiant des tranches de vie en marchant avec quelques autres, composant ainsi son orchestre avant de lancer la musique.
Le swing est une dimension euphorique de la musique, qui engendre, chez l'auditeur, la sensation de rebondir d'un temps sur l'autre, d'être continûment « balancé », sans la moindre crainte d'une rupture qui troublerait son bonheur. Ces métaphores dévoilent une dualité entre, d'une part, un élément de permanence – la continuité de ce sur quoi l'on rebondit, la régularité du balancement – et, d'autre part, un élément d'instabilité qui, par contraste, permet d'affirmer le balancement et de le nourrir.
Philippe CARLES, Jean-Louis CHAUTEMPS, Michel-Claude JALARD, Eugène LLEDO, Universalis, « JAZZ », Encyclopædia Universalis [en ligne] , consulté le 5 janvier 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/jazz/
Les éléments végétaux une fois rassemblés, sous le mouvement régulier et rythmique du marteau apparaît l’instabilité mélodique de la nature qui s’exprime en même temps qu’elle s’imprime. Cela laisse toute sa place à la surprise tout en garantissant son accueil.
« Prendre soin de la surprise » pourrait être une description de la pratique de Sandrine de Borman. Cela confirme la relation directe de son travail avec le swing qui « ne saurait donc être déterminé de manière que l'on puisse automatiquement le produire ; mais on a tenté, en revanche, d'en fixer les conditions d'apparition : équilibre heureux entre la tension et la détente intérieure, précision dans l'attaque, bonne mise en place des accents rythmiques, inflexions instrumentales. » Op. cit.
Tout l’art de Sandrine est là.
Se tenir en équilibre entre tension et détente, avoir un toucher précis, lumineux, rond, sec ou brillant, pour faire ressortir les sons « impressionnants » de la nature, les résonances qu’il y a auprès d’autres promeneurs, swinguer avec eux et redonner des teintes surprenantes à la vie.
Tout au fond, il y cette « note bleu »* qui vint un jour à Delacroix en entendant Chopin, qui relie les notes de musique aux touches de couleur et accroche le désir entre bonheur et nostalgie.
*Didier-Weill Alain, Lila et la lumière de Vermeer. La psychanalyse à l’école des artistes, Paris, 2003, Denoël, L’espace analytique, pp. 145 à 161.
Tanguy de Foy, psychanalyste, danseur, chorégraphe, président de l'association Ateliers de l'Insu